Faire parler les représentations 1999. Gageure 1.0, sur l’écran d’un ordinateur, une arborescence interactive construite sur le modèle d’un questionnaire de compétences dans lequel les zones de dialogue promettant l’épanouissement professionnel et personnel s’enchaînent. Mais très vite, l’appel à l’engagement de notre subjectivité dans l’activité professionnelle se met à sérieusement boguer (l’opération a échoué. Votre emploi sera déterminé arbitrairement). Vous vous rendez à l’évidence (Ah) et ce, avant d’apprendre que (De toute façon la finalité de votre travail n’a aucune importance). ici la mesure d’un écart entre la culture d’entreprise (avec les mythologies autour desquelles l’engagement dans le travail s’organise) et la représentation que nous pouvons nous faire de notre propre activité professionnelle (incapacité d’évaluer la part exacte de celle-ci dans ce que produit l’entreprise). « Mes travaux traitent souvent des idéologies : le dogme de la croissance, la valeur travail, l’idéologie sécuritaire... J’utilise des formes, des processus qui sont propres à l’époque pour la raconter, pour porter un regard critique sur l’époque, avec un ton ironique... Une façon de relativiser des dogmes. » 2008. afin de s’assurer de la pertinence de son activité et de ses chances de réussite, Martin Le Chevallier demande à un cabinet de consulting de lui faire subir un audit. en cas d’évaluation positive, une stratégie de développement artistique sera définie ; en cas d’évaluation négative, il pourrait revoir la stratégie qu’il développe depuis sa première réalisation en 1999. « À la fois je pointe le froid pragmatisme des méthodes d’entreprise, des logiques économiques et leur inadéquation à toute une partie de l’existence, notamment la pratique artistique et symétriquement, je pointe dans les comportements du milieu de l’art et des artistes en particulier les stratégies, les agissements qui relèvent de logiques tout à fait comparables à celles de l’entreprise. » Opérer là où ça aliène. investir les représentations, les outils de l’idéologie dominante, les faire parler. Les amener à nous dire (avouer) là où nous pourrions en arriver. 2001. Vigilance 1.0 pour l’exemple : faire appel à notre capacité citoyenne à dénoncer les écarts de conduite de nos contemporains, « pousser à fond la banalisation de la surveillance, quelque chose comme une vidéosurveillance en s’amusant, une vidéosurveillance enseignée aux enfants ». Naviguer dans le pire. Dramatiser les formes et les outils du contrôle social jusqu’à l’absurde et pour de faux avant que les appels à la délation ne soient banalisés dans tous les domaines de la vie sociale pour de vrai. ici le projet de contrôle social ou le projet professionnel, ailleurs le projet de vie. 2001. Oblomov. À l’image, allongé sur un lit, un homme pensif tarde à se lever. superbe plan fixe qui dure et dans lequel le personnage semble immobile. Prise de conscience du sens du bouton lumineux qui se trouve à côté de l’écran. D’un clic, il se lève, allume une cigarette, se dirige vers sa table de travail. Mais l’hésitation semble le gagner. il ne s’assoit pas, se dirige vers sa fenêtre, s’immobilise à nouveau. « Je l’interprète comme quelqu’un qui ne voit pas pourquoi agir, considérant qu’agir c’est un peu ce qu’attend de lui la société. Le spectateur est dans la position, soit de la société qui lui dit “fais quelque chose !”, en cliquant, soit de la conscience du personnage qui se dit “il faudrait que je fasse quelque chose”. C’est un peu comme s’il se disait alors “pourquoi pas ?”. il accepte donc d’agir et à ce moment-là le spectateur n’est plus que spectateur, jusqu’à ce que le personnage se dise “à quoi bon ?”. il y a un effet de miroir dans la mesure où le spectateur peut rester contemplatif comme le personnage. Mais comme il a peur du vide, il clique. » et quand le sentiment de vacuité se rabat sur la compulsion d’achat : 2003. Doro Bibloc. Pour nous aider à assumer cette compulsion, à mieux vivre notre surendettement tout en participant à la croissance, un serveur vocal à la voix suave pousse la logique du si x appuyer sur la touche y et du mode de transformation de toute personne en client potentiel jusqu’à l’absurde. soit une nécessité du dispositif interactif. « Cela permet d’inventer chaque fois un rapport au spectateur différent. Dans Vigilance 1.0 je peux parler de joueur, dans Gageure 1.0 je parlais de cobaye. » trouver la (meilleure) forme – celle qui sert le mieux la visée (et ne pas chercher à voir ce que l’on peut faire avec tel outil ou telle forme). Décembre 2005, alors que le plan Vigipirate vient d’être maintenu à son niveau d’alerte maximum, Martin Le Chevallier dispose des mannequins habillés en policiers en position de vigiles devant des entrées du métro parisien. « Le principe était d’apporter un soutien au plan Vigipirate (sachant que ça avait l’air crédible dans la mesure où les vigiles sont souvent parfaitement immobiles, comme des mannequins). » intervenir au cœur de l’imagerie, des logiques et des dispositifs sécuritaires. « Peu après, ces mannequins qui ont été jugés suspects ont été détruits par la police. » De ce soutien, ne reste qu’une photo « où on a l’impression d’un CRs statufié ». Novembre 2006, « j’ai recruté un sosie de Nicolas sarkozy, alors ministre de l’intérieur, à qui j’ai demandé de prononcer un discours pour s’excuser auprès des immigrés clandestins expulsés. Ça a eu lieu sur un parapet, face à la mer ». Là encore, ne reste de cette intervention qu’une photo. Réécrire l’histoire, ou plutôt sa critique, dans la forme de représentation de l’actualité qui la fait. opérer au cœur des outils, des dispositifs, de fabrication de l’imaginaire collectif. Recréer de la distance. « actuellement, je travaille sur un projet de sondage impliquant un journal aux Pays-Bas. La question principalement posée sera “Vous sentez-vous normal ?” » Faire parler les représentations. Evarista Lund (Jean-Charles Massera), in French Connection, Black Jack éditions, 2008
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